PORTRAIT D'AGENTS DE LA BRIGADE DE SÛRETE   marqueur eStat'Perso



  Hercule Ronquetti, Duc de Modène

Extrait de "La police dévoilé, depuis la restauration: et notamment sous Messieurs Franchet et Delavau, Vol 1" Par Mr Froment.

"Nous avons promis de remettre en scène l'agent Ronquetti, dont nous avons parlé au commencement de cet article; il est digne d'une mention honorable, et nous allons nous occuper de le montrer à nos-lecteurs sous les couleurs qui lui conviennent.

Ronquetti a reçu le jour sous le beau ciel de l'Italie ; il est issu d'une famille distinguée (il l'a dit et on le répète), mais le sang dégénère souvent, lorsque sa circulation s'étend un peu trop. Ronquetti, né avec quelques dispositions un peu rapaces, força le secrétaire de son père, s'empara d'une somme de 20 à 25 000 francs, et partit pour Paris avec une jeune et jolie Italienne. Les beaux yeux de cette dame le portèrent sans doute à commettre cette faute, et c'est alors qu'on peut répéter :

        Amour, amour, quand tu nous tiens,
       On peut bien dire adieu prudence.


Ronquetti et sa Dulcinée arrivèrent dans la capitale, et comme il faut un rang, un nom pour figurer dans le monde, et que messieurs les Italiens n'y regardent pas de très-près, il prit le titre de duc de Modène. Un Gascon n'eût pas mieux fait.

Il se logea au Palais-Royal, galerie de Pierre, n°..., et son domestique se composait d'un nègre et d'une femme de chambre pour madame Ronquetti. Le duc de Modène fréquentait les maisons de jeu ; les agens de police sont aussi les habitués de ces salons ; le titre du duc retentit à l'oreille de l'un d'eux, et il s'ensuivit un rapport adressé à M. le comte Anglès, alors préfet de police.

Ce magistrat le mit en surveillance, et Vidocq reçut en outre un mandat d'arrêt décerné contre lui, avec ordre de le mettre sur-le-champ à exécution.

Ronquetti tomba donc dans les serres du vautour de la rue Sainte-Anne du Palais de Justice. 1.1 subit un interrogatoire, fit sa confession générale, avoua ses fautes, dit son mea culpa, et reçut une absolution conditionnelle, avec un brevet d'agent de la brigade aux ordres de celui qui l'avait arrêté. On crut lui reconnaître des dispositions et il fut regardé comme une excellente acquisition ; il renonça- au titre de duc, et sut se concilier les bonnes grâces de son chef, qui l'admit dans son intimité et lui permit de l'accompagner ; il fut à même de s'en féliciter. Quelques forçats libérés, ou échappés des bagnes (ce qui n'ôte rien à la qualité des individus), en voulaient à Vidocq, qui n'avait pas eu pour eux les égards auxquels ils avaient droit de s'attendre ; ils l'attendirent sur le quai des Orfèvres, et comme il y passait, à dix heures du soir, accompagné du fidèle Ronquetti, ils l'attaquèrent, et il eût pu s'ensuivre quelque chose de fâcheux pour le chef de la police de sûreté ; mais Ronquetti était là. Il lui fit in. rempart de son corps, et cria aux assaillons d'une voix de tonnerre : « Gardez-vous de frapper » Vidocq, ou craignez la vigueur de mon bras ! » Ils furent atterrés; cette voix redoutable les frappa de terreur et d'épouvante, ils prirent la fuite, et Vidocq rentra chez lui sain et sauf, avec Ronquetti, qui venait de lui sauver la vie. Cette action d'éclat acheva de lui conquérir l'amitié de sou chef, et comme il avait une physionomie assez agréable, mais la peau un peu moricaude, et une mise soignée , Vidocq lui accorda un emploi de confiance, et le chargea de l'inspection des maisons de jeu clandestines.

Il eut le talent de s'y introduire, sans qu'on se doutât du rôle qu'il y jouait, et il découvrit que plusieurs commissaires de police et autres agens se laissaient séduire par les attraits d'un tapis vert.

Il en fit son rapport, et c'est à cette époque que M. Dufresne, commissaire de police du quartier de la Sorbonne, qui suivant lui fréquentait ces maisons, fut destitué; ou le soupçonnait eu outre de libéralisme. Il fut remplacé par M. Roche.

Ce qui contribua à faire placer Ronquetti dans ces maisons de jeu ou tripots, c'est qu'il maniait les cartes avec une dextérité très-extraordinaire ; il en avait toujours plusieurs jeux dans ses poches, avec det signes de reconnaissance; il jouait donc heureusement, et ne perdait jamais. On soupçonna même son chef Vidocq d'être de moitié dans les bénéfices. Mais il y a tant de mauvaises langues ; ensuite la calomnie ne ménage même pas la vertu la plus pure.

Ronquetti, au dire de plusieurs, savait, ainsi que Gaspard l'avisé, avoir toujours les as, et comme M. Tout-à-Bas, vicomte de la Caze, du Joueur ,

         D'une ardeur non commune,
        A force de jouer, corriger la fortune.

On adressa des rapports à M. le préfet de police contre Ronquetti, et il fut mis en surveillance. On l'accusa même d'avoir commis quelques vols; mais comme il n'y eut pas de preuves, on ne donna pas de suites à cette affaire. Cependant le préfet, auprès duquel il n'était pas en odeur de sainteté , lui fit délivrer un passeport , avec injonction de retourner dans sa patrie, sous peine d'être arrêté s'il reparaissait en France et à Paris. Ronquelli obéit, et se rendit à Naples ; il y arriva à l'époque des troubles qui s'élevèrent dans cette ville.

Il paraît qu'il rentra en grâce avec sa famille. Un jour qu'il se promenait sur le pont avec son beau-frère , il s'approcha d'un rassemblement de 5 à 600 personnes, composé de divers groupes, où la conversation était plus ou moins animée; et s'étant mêlé dans la foule, il apprit qu'un projet était formé pour incendier la flotte française qui était en rade, et la faire sauter.

Ronquetti ne perdit pas de temps, et se rendit à l'hôtel de l'ambassadeur de France ; il lui fit part de ce qu'il venait d'apprendre. L'ambassadeur le félicita sur cette heureuse découverte, et en donna connaissance à S. M. le roi de Naples.

On prit les mesures convenables pour connaître les auteurs de ce complot affreux ; ils furent arrêtés et punis du dernier supplice.

Ronquetti reçut 1 000 francs de gratification, et partit pour Paris avec une lettre de recommandation pour M. de Chateaubriand, alors ministre des affaires étrangères.

II se présenta devant lui à son arrivée, il en fut très bien accueilli, et son excellence lui donna encore 600 francs comme une preuve de sa satisfaction ; il s'intéressa en outre à lui pour le faire rentrer dans la police, et il fut admis dans la brigade de Froment, près du cabinet particulier.

Vidocq, qui ignorait que Ronquetti était autorisé à résider à Paris et sa réintégration dans la police, reçut un rapport d'un de ses agens, qui lui annonçait l'avoir vu au café Darlois, sur le quai des Orfèvres, prenant une tasse de café. 11 s'empressa de le faire arrêter, sans autre forme de procès, et il fut conduit au dépôt.

Le devoir fit taire chez Vidocq les affections particulières, et il oublia que Ronquetti lui avait sauve la vie.

Ronquetti fit connaître son sort, et deux heures après il sortit par ordre du préfet.

Ronquetti, qui ne gardait pas rancune à Vidocq, st rapprocha de lui, et les anciennes liaisons se rétablirent ; on lui fit quelques observations sur l'inconvenance de sa conduite, il n'en tint pas compte, et fut renvoyé de la brigade de Froment. Vidocq le reprit à son service, et l'employa à faire des découvertes dans Paris ci même dans les départemens.

Il vivait toujours avec cette jolie Italienne dont nous avons parlé, il l'aimait beaucoup, et nous croyons qu'elle le payait du plus tendre retour; cependant il parait qu'elle connaissait ce vaudeville d'un de nos plus spirituels auteurs, qui dit :

Si l'amour porte des ailes,
N'est-ce pas pour voltiger?


Elle mit cette pensée en pratique; un agent de change de Paris la vit, il l'aima, le lui dit; elle l'écouta; il lui plut. Ils traitèrent cette affaire comme on les règle à la Bourse. Après être convenus des intérêts, de l'escompte et des droits de commission, elle se passa

à son ordre, et Ronquetti n'eut plus rien.... en portefeuille. Ce déficit le mit en fureur; il parvint à découvrir le détenteur, disons mieux, le ravisseur de son trésor. Il se rendit chez lui, cria, jura, tempêta, menaça , et voulut qu'on lui rendît son infidèle : l'heureux larron se moqua de lui, et eut l'air de le mépriser.

Alors Ronquetti, nouveau Roland, voulut guerroyer pour obtenir son Angélique, et provoqua le fortuné Médor.

Le ravisseur refusa la partie, et demanda l'adresse à l'agresseur, il la lui donna; l'agent de change porta plainte , et Ronquetti fut arrêté et conduit au dépôt de la préfecture.

Il parvint dans cette prison à se lier avec un nommé Ticdot, condamné à plusieurs années de détention, qui avait été nommé porte-clefs parle concierge; Ronquetti fut assez adroit pour lui inspirer le désir de s'évader avec lui, en lui faisant des promesses séduisantes. Un beau jour ils disparurent ensemble, on n'en entendit plus parier ; on croit cependant que Ronquetti est rentré depuis quelque temps dans la capitale.

Quant à la belle Italienne, fidèle à ses nouvelles chaînes, l'heureux agent de change la possède toujours, grâce à l'amour que lui a inspiré son... coffre-fort."

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Voici les informations recueillies selon les notes de Jean Savant, 

  • Nom : Hercule Ronquetti.
  • Année de naissance : 1785
  • Lieu de naissance : Chiavari (Piémont)ou Sassalie (Italie) [Sassari (?) en Sardaigne]
  • Taille : 1m 75
  • Description Physique : Cheveux et sourcils châtains foncés. Front haut, yeux noirs, nez large et gros, bouche grande, barbe brune, menton à fossette ayant une petite cicatrice, visage large, teint brun, légères marques de petite vérole.

  • Petit résumé de sa vie :

  • 1816 : Vidocq arrête Ronquetti sur ordre du Comte D'Anglès, préfet de Police de l'époque.
  • Vidocq trouvant son profil intéressant, il l'engage dans la brigade de Sûreté.
  • Ronquetti ira jusqu'à sauver la vie de Vidocq. Une amitié s'installe entre les deux hommes.
  • Le Comte d'Anglès fait expulser Ronquetti de France sous prétexte qu'il continue ses activités de jeux.
  • Ronquetti retourne en Italie mais revient en France suite à la découverte d'un complot contre la Marine France qui se solde par un passeport de la part de l'ambassade de France reconnaissante.
  • De retour en France avec une lettre de recommandation pour le Ministre des affaires étrangères, il est engagé dans la Brigade de Froment du Cabinet particulier du Préfet.
  • Sa présence ayant été signalé à Paris, Vidocq le fait arrêter ne connaissant pas son état actuel.
  • Après explication, Vidocq lui propose de revenir dans sa Brigade, ce qu'il accepte.
  • Suite à une provocation en duel contre l'amant de sa maîtresse, Ronquetti est conduit en prison.
  • Il s'en évade le 28 novembre 1826 et le 9 Février 1829, l'arrêt des recherches est demandé
  • Il semblerait qu'il ait ré-intégré la Police pour des missions secrètes et des démantèlement de réseau de jeux clandestins. La trace de Ronquetti se perd alors.



  Barthélémy Coco-Lacour

Extrait des Mémoires de Vidocq

« Lacour, Marie-Barthélemy, âgé de onze ans, demeurant rue du Lycée, écroué à la Force le 9 ventôse, an ix, comme prévenu de tentative de vol; et onze jours après, condamné à un mois de prison par le tribunal correctionnel. Le même, arrêté le 2 prairial suivant, et reconduit de nouveau à la Force, comme prévenu de vol de dentelles dans une boutique. Mis en liberté ledit jour par l'officier de police judiciaire du 2e arrondissement. Le même , enfermé à Bicêtre le 23 thermidor an x, par ordre de M. le préfet ; mis en liberté le 28 pluviôse an xi, et conduit à la préfecture. Le même, entré à Bicêtre le 6 germinal an xi, par ordre du préfet ; remisa la gendarmerie le 22 floréal suivant, pour être conduit au Havre. Le même, âgé de 17 ans, filou connu, déjà plusieurs fois arrêté comme tel, enrôlé volontairement à Bicêtre, en juillet 1807, pour servir dans les troupes coloniales; remis le 31 dudit mois à la gendarmerie pour être conduit a sa destination. Évadé de l'île de Ré dans la même année. Le même Lacour dit Coco (Barthélemy) ou Louis , Barthélemy, âgé de 21 ans, né à Paris, commissionnaire en bijoux, demeurant faubourg Saint-Antoine, n° 297. Conduit à la Force le Ier décembre 1809, comme prévenu de vol; condamné à deux ans de prison par jugement du tribunal correctionnel le 18 janvier 1810, conduit ensuite au ministère de la marine comme déserteur.
Le même, conduit à Bicêtre le 22 janvier 1812, comme voleur incorrigible. Conduit à la préfecture le 3 juillet 1816. Lacour dans sa jeunesse a offert un bien triste exemple des dangers d'une mauvaise éducation. Tout ce que je sais de lui depuis sa libération semble démontrer qu'il était né avec un excellent naturel. Malheureusement il appartenait à des parents pauvres. Son père, tailleur et portier dans la rue du Lycée, ne s'occupa pas trop de lui pendant ces premières années d'où dépendent souvent la destinée des hommes. Je crois même que Coco resta orphelin en bas âge. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il grandit, pour ainsi dire, sur les genoux de ses voisines, les courtisanes et les modistes du palais Égalité; comme elles le trouvaient gentil, elles lui prodiguaient des douceurs et des caresses, et lui inculquaient en même temps ce qu'elles appellent de la malice. Ce furent ces dames qui prirent soin de son enfance ; constamment elles l'attiraient auprès d'elles : il était leur récréation, leur bijou, et lorsque les devoirs de l'état ne leur laissaient pas le loisir de tant d'innocence, le petit Coco allait dans le jardin se mêler à ces groupes de polissons qui, entre le bouchon et la toupie, tiennent école mutuelle des tours de passe-passe. Éduqué par des filles, instruit par des apprentis filous, il n'est pas besoin de dire de quels genres étaient les progrès qu'il fit. La route qu'il - suivait était semée d'écueils. Une femme qui se croyait sans doute appelée à lui imprimer une meilleure direction, le recueillit chez elle : c'était la Maréchal, qui tenait une maison de prostitution, place des Italiens. Là Coco fut très bien nourri, mais sa complaisance était la seule des qualités morales que son hôtesse prit à tâche de développer. Il devint très complaisant : il était au service de tout le monde, et s'accommodait à tous les besoins de l'établissement dont les moindres détails lui étaient familiers. Cependant le jeune Lacour avait ses jours et ses heures de sortie; il sut, à ce qu'il paraît, les employer, puisque avant sa douzième année il était cité comme l'un des plus adroits voleurs de dentelles : et qu'un peu plus tard ses arrestations successives lui assignèrent le premier rang parmi les voleurs au bonjour, dits les chevaliers grimpant*. Quatre ou cinq ans de séjour à Bicêtre où, par mesure administrative, il fut enfermé comme voleur dangereux et incorrigible, ne Je corrigèrent pas ; mais là du moins, il apprit l'état de bonnetier, et reçut quelque instruction. Insinuant, flexible, pourvu d'une voix douce et d'un visage efféminé sans être joli, il plut à un M. Mulner, qui, condamné à seize ans de travaux forcés, avait obtenu la faveur d'attendre à Bicêtre l'expiration de sa peine. Ce prisonnier, qui était le frère d'un banquier d'Anvers, ne manquait pas de connaissances : afin de se procurer une distraction , il fit de Coco son élève , et il est à présumer qu'il le poussa avec amour, puisqu'en très peu de temps Coco fut en état de parler et d'écrire sa langue à peu près correctement. Les bonnes grâces de M. Mulner ne furent pas l'unique avantage que Lacour dut à un extérieur agréable. Durant toute sa captivité, une nommée Elisa l'Allemande, qui était éprise de lui, ne cessa pas de lui prodiguer des secours : cette fille, qui lui sauva véritablement la vie, n'a, dit-on , éprouvé de sa part que de l'ingratitude.
Lacour est un homme dont la taille n'excède pas cinq pieds deux pouces, il est blond et chauve, a le front étroit, on pourrait dire humilié, l'œil bleu mais terne, les traits fatigués, et le nez légèrement aviné à son extrémité : c'est la seule portion de sa figure sur laquelle la pâleur ne soit pas empreinte. Il aime à l'excès la parure et les bijoux, et fait un grand étalage de chaînes et de breloques ; dans son langage il affectionne aussi beaucoup les expressions les plus recherchées dont il affecte de se servir à tout propos. Personne n'est plus poli que lui, ni plus humble; mais au premier coup d'œil on s'aperçoit que ce ne sont pas là les manières de la bonne compagnie : ce sont les traditions dû beau monde telles qu'elles peuvent encore arriver dans les prisons et dans les endroits que Lacour a du fréquenter. Il a toute la souplesse des reins qu'il faut pour se maintenir dans les emplois, et, de plus, une étonnante facilité de génuflexion. Tartufe, avec qui il a, du reste, quelque ressemblance, ne s'en acquitterait pas mieux.
Lacour, devenu mon secrétaire, ne put jamais comprendre que, pour le décorum de la place qu'il occupait, sa compagne successivement fruitière et blanchisseuse, depuis qu'elle n'était plus autre chose, ne ferait pas mal de se choisir une industrie un peu plus relevée. Une discussion s'éleva entre nous à ce sujet, et plutôt que de me céder, il préféra abandonner le poste. Il se fit marchand colporteur et vendit des mouchoirs dans les rues. Mais a bientôt, rapporte la chronique, il se donna à la congrégation, et s'enrôla sous la bannière des jésuites : dès-lors il fut en odeur de sainteté auprès de MM. Duplessis et Delavau. Lacour a toute la dévotion qui devait le rendre recommandable à leurs yeux. Un fait que je puis attester, c'est qu'à l'époque de son mariage, son confesseur, qui tenait les cas réservés, lui ayant infligé une pénitence des plus rigoureuses, il l'accomplit dans toute son étendue. Pendant un mois, se levant à l'aube du jour, il alla les pieds nus de la rue Sainte-Anne au Calvaire, seul endroit où il lui fût encore permis de rencontrer sa femme, qui était aussi en expiation.
Après l'avènement de M. Delavau, Lacour eut un redoublement de ferveur; il demeurait alors rue Zacharie, et bien que l'église Saint-Séverin fût sa paroisse, pour entendre la messe il se rendait tous les dimanches à Notre-Dame, où le hasard le plaçait toujours près ou en face du nouveau préfet et de sa famille. On ne peut que savoir gré à Lacour d'avoir fait un si complet retour sur lui-même; seulement il est à regretter qu'il ne s'y soit pas pris vingt ans plus tôt : mieux vaut tard que jamais.
Lacour a des mœurs fort douces, et s'il ne lui arrivait pas parfois de boire outre mesure, on ne lui connaîtrait d'autre passion que celle de la pêche : c'est aux environs du Pont-Neuf qu'il jette sa ligne ; de temps à autre il consacre encore quelques heures à ce silencieux exercice, près de lui est assez habituellement une femme, occupée de lui tendre le ver : c'est madame Lacour, habile autrefois, à présenter de plus séduisantes amorces. Lacour se livrait à cet innocent plaisir, dont il partage le goût avec Sa Majesté Britannique et le poète Coupigny, lorsque les honneurs vinrent le chercher : les envoyés de M. Delavau le trouvèrent sous l'arche Marion : ils le prirent à sa ligne, comme les envoyés du sénat romain prirent Cincinnatus à sa charrue. Il y a toujours dans la vie des grands hommes des rapports sous lesquels on peut les comparer : peut-être madame Cincinnatus vendait elle aussi des effets aux filles de son temps. C'est aujourd'hui le commerce de la légitime moitié de Coco-Lacour : mais c'en est assez sur le compte de mon successeur."

 

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