PORTRAIT DE VOLEUR : JOSSAS (JAUZAS/Jausas)   marqueur eStat'Perso



  Ci-dessous le portrait d'un célèbre voleur : Jossas, le Marquis de Saint-Amand de Faral

Extrait des mémoires de Vidocq, celui-ci rencontra Jossas au cours de son transfert de Bicêtre vers Toulon en 1799. 

"Lors du ferrement, qui présenta les mêmes circonstances que lors de mon premier départ, on me plaça en tête du premier cordon avec un des plus célèbres voleurs de Paris et de la province ; c’était Jossas, plus connu sous le nom du marquis de Saint-Amand de Faral, qu’il portait habituellement. C’était un homme de trente-six ans, ayant des formes agréables, et prenant au besoin le meilleur ton. Son costume de voyage était celui d’un élégant qui sort du lit pour passer dans son boudoir. Avec un pantalon à pied en tricot gris d’argent, il portait une veste et un bonnet garnis d’astrakan, de la même couleur, le tout recouvert d’un ample manteau doublé de velours cramoisi. Sa dépense répondait à sa tenue, car non content de se traiter splendidement à chaque halte, il nourrissait toujours trois ou quatre hommes du cordon.

L’éducation de Jossas était nulle ; mais, entré fort jeune au service d’un riche colon, qu’il accompagnait dans ses voyages, il avait pris d’assez bonnes manières pour n’être déplacé dans aucun cercle. Aussi ses camarades le voyant s’introduire dans les sociétés les plus distinguées, le surnommaient-ils le passe-partout. Il s’était même tellement identifié avec ce rôle qu’au bagne, mis à la double chaîne, confondu avec des hommes de l’aspect le plus misérable, il conservait encore de grands airs sous sa casaque de forçat. Muni d’un magnifique nécessaire, il donnait tous les matins une heure à sa toilette, et soignait particulièrement ses mains qu’il avait fort belles.

Jossas était un de ces voleurs comme il en existe heureusement aujourd’hui fort peu, qui méditaient et préparaient quelquefois une expédition pendant une année entière. Opérant principalement à l’aide de fausses clefs, il commençait par prendre l’empreinte de la serrure de la porte extérieure. La clef fabriquée, il pénétrait dans la première pièce ; s’il était arrêté par une autre porte, il prenait une nouvelle empreinte, faisait fabriquer une seconde clef, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il eût atteint son but. On comprend que ne pouvant s’introduire, chaque soir, qu’en l’absence des maîtres du logis, il devait perdre un temps considérable à attendre l’occasion. Il ne recourait donc à cet expédient qu’en désespoir de cause, c’est-à-dire lorsqu’il était impossible de s’introduire dans la maison ; s’il parvenait à s’y faire admettre sous quelque prétexte, il avait bientôt pris les empreintes de toutes les serrures. Quand les clefs étaient fabriquées, il invitait les personnes à dîner chez lui, rue Chantereine, et pendant qu’elles étaient à table, des complices dévalisaient l’appartement dont il avait trouvé le moyen d’éloigner les domestiques, soit en priant les maîtres de ses amener pour servir, soit en faisant emmener les femmes de chambre ou les cuisinières par des amants qu’on leur détachait. Les portiers n’y voyaient rien, parce qu’on n’enlevait ordinairement que de l’argent ou des bijoux. S’il se trouvait par hasard quelque objet plus volumineux, on l’enveloppait dans du linge sale, et on le jetait par la fenêtre à un compère qui se trouvait là tout exprès avec une voiture de blanchisseur.

On connaît de Jossas une foule de vols, qui tous annoncent cet esprit de finesse, d’observation et d’invention qu’il possédait au plus haut degré. Dans le monde où il se faisait passer pour un créole de la Havane, il rencontra souvent des habitants de cette ville, sans rien laisser échapper qui pût le trahir. Plusieurs fois il amena des familles honorables au point de lui offrir la main de jeunes personnes. S’informant toujours, au milieu des pourparlers, où était déposé l’argent de la dot, il ne manquait jamais de l’enlever et de disparaître au moment de signer le contrat. Mais de ses tours, le plus étonnant est celui dont un banquier de Lyon fut victime. Introduit dans la maison sous prétexte d’escomptes et de négociations. il parvint en peu de temps à une sorte d’intimité qui lui donna les moyens de prendre l’empreinte de toutes les serrures, à l’exception de celle de la caisse, dont l’entrée à secret rendit tous ses essais inutiles. D’un autre côté, la caisse était scellée dans le mur et doublée de fer, il ne fallait pas songer à l’effraction : enfin le caissier ne se dessaisissait jamais de sa clef : tant d’obstacles ne rebutèrent point Jossas. S’étant lié sans affectation avec le caissier, il lui proposa une partie de campagne à Collonges. Au jour pris, on partit en cabriolet. Arrivé près de Saint-Rambert, on aperçut dans la berge une femme expirante, rendant des flots de sang par la bouche et par le nez : à ses côtés était un homme qui paraissait fort embarrassé de lui donner des secours. Jossas, jouant l’émotion, lui dit que pour arrêter l’hémorragie, il suffisait d’appliquer une clef sur le dos de la malade. Mais personne ne se trouvait avoir une clef, à l’exception du caissier, qui offrit d’abord celle de son appartement ; elle ne suffit pas. Alors te caissier, épouvanté de voir couler Je sang à flots, livra la clef de la caisse, qu’on appliqua avec beaucoup de succès entre les épaules de la malade. On a déjà deviné qu’il s’y trouvait une couche de cire à modeler, et que toute la scène était préparée d’avance. Trois jours après, la caisse était vidée.

Comme je l’ai déjà dit, Jossas jouant le magnifique, dépensait l’argent avec la facilité d’un homme qui se le procure aisément. Il était de plus fort charitable, et je pourrais citer de lui plusieurs traits d’une générosité bizarre, que j’abandonne à l’examen des moralistes. Un jour entre autres, il pénètre dans un appartement de la rue du Hazard, qu’on lui avait indiqué comme bon à dévaliser. D’abord la mesquinerie de l’ameublement le frappe, mais le propriétaire peut être un avare ? il poursuit ses recherches, lurette partout, brise tout, et ne trouve dans le secrétaire qu’une liasse de reconnaissances du Mont-de-Piété… Il tire de sa poche cinq louis, les pose sur la cheminée, et après avoir écrit sur la glace ces mots : Indemnité pour les meubles cassés, se retire en fermant soigneusement les portes, dans la crainte que d’autres voleurs moins scrupuleux ne viennent enlever ce qu’il a respecté.

Lorsque Jossas partit avec nous de Bicêtre, c’était la troisième fois qu’il faisait le voyage. Depuis, il s’échappa deux fois encore, fut repris, et mourut en 1805 au bagne de Rochefort.

À notre passage à Montereau, je fus témoin d’une scène qu’il est bon de faire connaître puisqu’elle peut se renouveler. Un forçat, nommé Mauger, connaissait un jeune homme de la ville, que ses parents croyaient condamné aux fers ; après avoir recommandé à son voisin de se cacher la figure avec son mouchoir, il dit confidentiellement à quelques personnes accourues sur notre route, que celui qui se cachait était le jeune homme en question. La chaîne poursuivit ensuite sa marche, mais à peine étions-nous à un quart de lieue de Montereau, qu’un homme courant après nous, remit au capitaine une somme de cinquante francs, produit d’une quête faite pour l’homme au mouchoir. Ces cinquante francs furent distribués le soir aux intéressés, sans que personne, hors eux-mêmes, sût la cause de cette libéralité.

À Sens, Jossas me donna une autre comédie : il avait fait mander un nommé Sergent, qui tenait l’auberge de l’Écu ; en le voyant, cet homme donna des signes de la plus vive douleur : « Comment, s’écriait-il, les larmes aux yeux, vous ici, monsieur le marquis !… vous, le frère de mon ancien maître !… moi qui vous croyais retourné en Allemagne… Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! quel malheur ! » On devine que dans quelque expédition, Jossas se trouvant à Sens, s’était fait passer pour un émigré rentré clandestinement, et frère d’un comte chez lequel Sergent avait été cuisinier. Jossas lui expliqua comment, arrêté avec un passeport de fabrique, au moment où il tentait de repasser la frontière, il avait été condamné comme faussaire. Le brave aubergiste ne se borna pas à de stériles lamentations ; il fit servir au noble galérien un excellent dîner, dont je pris ma part avec un appétit qui contrastait avec ma fâcheuse position.

À part une furieuse bastonnade, distribuée à deux condamnés qui avaient voulu s’évader à Beaune, il ne nous arriva rien d’extraordinaire jusqu’à Chalon, où l’on nous embarqua sur un grand bateau rempli de paille, assez semblable à ceux qui apportent le charbon à Paris ; une toile épaisse le recouvrait. Si, pour jeter un coup d’œil sur la campagne, ou pour respirer un air plus pur, un condamné en levait un coin, les coups de bâton pleuvaient à l’instant sur son dos. Quoique exempt de ces mauvais traitements, je n’en étais pas moins fort affecté de ma position ; à peine la gaieté de Jossas, qui ne se démentait jamais, parvenait-elle à me faire oublier un instant. qu’arrivé au bagne, j’allais être l’objet d’une surveillance qui rendrait toute évasion impossible. Cette idée m’assiégeait encore quand nous arrivâmes à Lyon.

En apercevant l’Île Barbe, Jossas m’avait dit : « Tu vas voir du nouveau. » Je vis en effet sur le quai de Saône, une voiture élégante, qui paraissait attendre l’arrivée du bateau ; dès qu’il parut, une femme mit la tête à la portière, en agitant un mouchoir blanc : « C’est elle », dit Jossas, et il répondit au signal. Le bateau ayant été amarré au quai, cette femme descendit pour se mêler à la foule des curieux, je ne pus voir sa figure que couvrait un voile noir fort épais. Elle resta là depuis quatre heures de l’après-midi jusqu’au soir ; la foule étant alors dissipée, Jossas lui détacha le lieutenant Thierry, qui revint bientôt avec un saucisson, dans lequel étaient cachés cinquante louis. J’appris que Jossas ayant fait la conquête de cette femme sous le titre de marquis, l’avait instruite par une lettre de sa condamnation, qu’il expliquait sans doute à peu près comme il l’avait fait pour l’aubergiste de Sens. Ces sortes d’intrigues, aujourd’hui fort rares, étaient très communes à cette époque, par suite des désordres de la révolution et de la désorganisation sociale qui en était le résultat. Ignorant le stratagème employé pour la tromper, cette dame voilée reparut le lendemain sur le quai pour y rester jusqu’au moment de notre départ. Jossas était enchanté : non seulement il remontait ses finances, mais il s’assurait encore un asile en cas d’évasion."
 

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Vidocq évoquera à nouveau Jossas lors de son évasion du bagne de Toulon en 1800 (ils sont incarcérés au bagne flottant de Toulon à bord du "Hasard" dans la cellule N°3 soumis tous deux à la double chaîne, signe des évadés et des forçats à surveiller plus particulièrement). C'est Jossas qui approuvera son plan d'évasion et lui fournira les habits de bourgeois qui permettront de le mener à bien. On sent une certaine admiration de Vidocq pour ce personnage dont le côté Arsène Lupin est assez intéressant et ses manières assez peu courantes pour un voleur. Elégance et loyauté, tout pour plaire à un Vidocq qui sait apprécier les qualités humaines.

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Ce petit texte m'a donné envie d'en savoir un peu plus sur ce personnage aussi j'entame dès maintenant des recherches sur ce "célèbre voleur".

  • Voici les informations recueillies par Jean Savant dans son livre "Les vraies mémoires de Vidocq" croisées avec celle inscrites sur sa fiche du bagne de Rochefort:

"Joseph Jaussas (ou Jossas) [en fait Jauzas ou Jausas] fils d'Étienne et de Marion [en fait Marie] Dufour, né à Saliès (Haute-Garonne), était fabricant de bas de soie. Quand il partit pour Toulon avec Vidocq, il avait trente ans. Haut de 1,72 mètre, cheveux Chatains, sourcils bruns foncé, barbe brune, visage ovale fort, front plat couvert, les yeux roux, le nez gros mal fait, bouche moyenne, lèvre inférieure avancée, les oreilles percées, tel était son signalement. Il fut condamné à Paris (14 février 1794), à dix ans de fers, à Toulouse (5 décembre 1801),à quatorze ans de fers, à Rochefort (16 décembre 1802), à trois ans de fers (pour une de ses évasions). Du bagne de Toulon, où il alla avec Vidocq, il s'évada de Rochefort, la 11 Février 1803. On le recherchait activement en germinal XI (mars 1803).  (Arch. Nat. F7 10343)."

  • Dans les archives Nationales on trouve aussi un "Jaussas Joseph" dit Laborde (Arch. Nat. F7 10232)

"JAUSSAS [en fait Jauzas ou Jausas] dit LABORDE (Joseph)
Né en 1769
[en fait en 1765]
Lieu de naissance : Haute-Garonne
Profession : Mercier
Emprisonné au bagne de : Toulon
Date d’évasion : 12 nivôse an IX / 2 janvier 1801,
22 pluviôse an XI / 11 février 1803"

  • J'ai été contacté par des descendants de Jossas (et que je remercie) dont le nom exacte semble en fait devoir être orthographié "Jauzas" ou "Jausas" (décidément, même mort, il ne se laisse pas facilement attraper !). Ce contact m'a permis d'apporter quelques corrections sur la biographie du personnage et de là j'ai retrouvé son arbre généalogique sur le site Geneanet (des infos plus complètes Ici et ).

    Ci-dessous, un extrait de l'arbre généalogique de Joseph-Marie Jauzas/Jausas :
     

     

             

    Jean DUCROS, Bourgeois
    1666-1752

     

    Françoise ARTIGUES
    1675-/1752

         

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    Germain JAUZAS
    1700-ca 1770

     

    Jeanne JAUZAS
    1700-/1769

     

    François DUFOUR
    1702-1762

     

    Anne Annette DUCROS
    1698-1772

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    Etienne JAUZAS  
    1727-1807

     

    Marie DUFOUR
    1736-1777

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    Joseph Marie JAUZAS 1765

    • Son acte de naissance (Ref. Archives
    • AD 31 SALIES DU SALAT BMS 1761-1796 p 33) - (Merci à M. Lajous pour cette indication).

      "Salies du Salat 1765
      Le sept du mois de novembre l'an que dessus 1765 est né un fils légitime au Sieur Etienne Jauzas/Jausas marchand et a marie Dufour et il a été baptisé par moy archiprêtre soussigné le dix-huit du mois on lui a impose le nom joseph marie ont ete parrain le Sr Bernard Jauzas/Jausas marchand oncle paternel maitre chirurgien habitant de la bastide du salat soussigné et marraine marie Ducros grande tante maternelle habitante de cette paroisse qui n' a sceu ecrire pour signer en foi de ???? . Jauzas/Jausas. Boë archiprêtre"


       


       Voici donc en résumé les informations sur le personnage :

    • Nom : Jauzas ou Jausas
    • Prénom : Joseph-Marie
    • Date de naissance : 7 Novembre 1765
    • Lieu de naissance : Saliès du Salat en Haute-Garonne
    • Père : Etienne Jauzas (Né vers 1727 - Saint-Lary, 09800, Décédé le 16 janvier 1807 à Salies du Salat,31260, Marchand facturier)
    • Mère : Marie Dufour (Née le 8 janvier 1736 - Salies du Salat, 31260, Décédée le 28 décembre 1777 - Salies du Salat,31260)
    • Au service d'un riche colon durant sa jeunesse, il voyage au beaucoup et appris les bonnes manières qui lui permirent de s'introduire dans la haute société
    • pseudonyme : Marquis Saint-Amand de Faral surnommé "Le Passe-Partout"
    • Signalement : 1,72 mètre, cheveux et sourcils brun foncé, favoris bruns, visage ovale, fort, front plat, couvert, les yeux roux, le nez gros, mal fait, la lèvre inférieure avancée et les oreilles percées.


    (Source Archives du port de Rochefort Registre Matricule 2645 Cote 1-O-35)

    • Condamnations, incarcération et évasions :

    • - 14 Février 1794      : condamné à 10 ans de fers à Paris pour Vol commis à l'aide de fausse clé.
      - 3 Août 1799            : Présent au bagne de Toulon avec Vidocq sous le matricule 2645
      - 5 décembre 1801   : condamné à 14 ans de fers à Toulouse pour vol nocturne avec effraction et fausse clé.
      - 6 décembre 1801   : Exposé en place publique.
      - 2 Janvier 1801        : évasion du bagne de Toulon
      - 16 décembre 1802 : condamné à 3 ans de fers pour son évasion
      - 11 février 1803        : évasion du bagne de Rochefort
      - Repris il mourra au bagne de Rochefort en 1805.
    • Autres informations
    • :
      - Vidocq rencontra Jauzas pour la première fois dans le sixième et dernier cordon de la chaîne qui allait de Bicêtre vers Toulon. Vidocq avait le N°133, Jauzas le N°131 (Arch. Nat. F16 486A).


    (Source Archives du port de Rochefort Jugement Cour Martiale Cote 3-O-64)

     

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